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12 juillet 2022 | il y a 3 ans

Salah Boulahia, professionnel de tannerie : «L'industrie du cuir souffre de l'amateurisme»

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El Moudjahid : La collecte des peaux d’ovins et de bovins à l'occasion de l'Aïd est une bouffée d’oxygène pour les entreprises de tannerie...

Salah Boulahia : La collecte et la transformation des peaux d'ovins et de bovins est l'une des industries les plus anciennes dans le monde. Notre société est très versée dans certaines techniques artisanales, depuis la construction, la couverture, la confection de mobilier et d'outillage agricole, la sculpture sur bois, la vannerie et la tannerie du cuir jusqu'à la ferronnerie. Vous constatez là qu'il s'agit d'un carrefour où plusieurs secteurs d'activités se trouvent ensemble, à savoir : l'industrie, l'agriculture, le commerce et la préservation de l'environnement. Vous n'êtes pas sans savoir que chaque année, ce sont environ 4 millions de bêtes qui sont sacrifiées, sans que les peaux ne soient récupérées. Le cuir, en produit semi-fini, figure parmi les produits exportés par notre pays.

Dans les années 70, 80 et 90 des produits issus du secteur de la transformation s'exportaient aux marchés internationaux et faisaient la fierté de l'économie algérienne. Où en est-on aujourd'hui ?

La récupération et le recyclage sont parmi les pratiques culturelles qui ont presque disparu chez les familles algériennes. Cela amène à réfléchir sur l’importance de la mise en valeur d’un produit de qualité disponible, habituellement jeté n’importe où sans qu’il ne profite à personne... Il ne faut surtout pas que les pouvoirs publics tombent dans la même erreur qui consiste à financer uniquement les tanneries, sans commencer par assister les entreprises et artisans activant dans l'opération de collecte, notamment lors de la fête de l'Aïd. Il faut toute une stratégie qui englobe tout le processus allant de la collecte au conditionnement, au transport et au stockage. La transformation au niveau des tanneries est la dernière étape. J'avais lancé des études pour la réalisation d'une tannerie qui, en plus de son impact sur l’environnement socioéconomique de la région de Skikda, servira surtout d’outil pouvant valoriser l’industrie de la transformation dans le pays. La transformation du cuir est une réelle aubaine économique pour notre pays et une source sûre de devises. On sacrifie près de 4 millions de bêtes, pendant la fête de l'Aïd ; si on parvient à fructifier 20% des cuirs bruts qu’on traite pour disposer d’un produit semi-fini, on pourra les exporter au bout de trois jours, à raison de 4 à 5 dollars US l’unité, ce qui nous fera des rentrées de devises avoisinant les 4 millions de dollars. Je vous laisse faire les calculs si on arrive à fructifier 50% de ces cuirs bruts.

Vous dites qu'on vient à peine de se rendre compte de l’importance de ce trésor qui peut faire tourner toute une industrie à fort potentiel d’exportation... Comment est-ce possible ?

Il y a un besoin urgent pour la restructuration de la filière cuir qui constitue une des sources de devises dans le cadre des exportations hors hydrocarbures. Il est temps de moderniser le secteur, de former la ressource humaine. Je ne vous apprends rien en affirmant que ce sont les artisans et les familles qui ont réussi à préserver cette pratique ancestrale. J'ai un projet, à l'arrêt depuis plus de 4 ans, dans le domaine du tannage des peaux de bovins, d’ovins et caprins destinées à l’industrie de la chaussure, de la ganterie ou de l’habillement dans le cadre de la production du cuir. Je me retrouve bloqué par des entraves administratives. Notre projet a été lancé au niveau de la zone d’activité industrielle et commerciale «El Atassa», relevant de la commune d’Aïn Charchar, 10 km à l'est d’Azzaba. J'ai entamé toutes les démarches pour lancer cette tannerie qui aura un impact positif sur la promotion de cette activité. À ma grande surprise, je me retrouve confronté à plusieurs entraves administratives. Les autorités publiques, à leur tête le ministre du Commerce, le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la Micro-entreprise ont été à l'écoute pour booster ce projet. La volonté politique est sincère, mais le blocage se situe au niveau local. J'ai pu réaliser plusieurs opérations d’exportation d’articles en cuir vers la Syrie, la Turquie, l’Égypte tout en décrochant des contrats avec plusieurs groupes italiens, espagnols, chinois qui collaborent avec des grandes marques de la mode. Je lance, à travers votre journal, un appel aux autorités pour prendre des mesures dans ce cadre afin de booster l’exportation et diminuer le déficit de la balance commerciale.

Qu'est-ce qu'il faut faire, concrètement, pour préserver ce secteur d'activité ?

Il ne faut surtout pas circonscrire l'opération de collecte des peaux uniquement pendant la fête de l'Aïd. Ensuite, il faut réfléchir également au conditionnement des peaux. Les décharges publiques dans les communes peuvent être un point de dépôt et de stockage avant l'acheminement vers les tanneries. Il faut utiliser, pour préserver la qualité des peaux, le sel et l'acide borique. Je vous parle de la laine et du cuir algériens classés comme deuxième meilleure qualité dans le monde après celui de l'Australie. Le cuir dans son état pur est à l’origine une matière qui nécessite un certain nombre de traitements, notamment le tannage, la teinture, le finissage pour donner le produit artisanal final. La tannerie constitue la première opération dans le traitement du cuir avant de le façonner pour produire divers articles. Le commerce international du cuir représente quelque 43 milliards de dollars, et la part de l’Algérie est devenue quasi inexistante dans le domaine ! Il est temps de faire appel aux artisans et à la ressource humaine qualifiée.

12 juillet 2022 | algeria-logo